Hector GUIMARD - musée des arts décoratifs -
1966
Nous partageons la même chambre.
Tes prières me protègent, mais je n’en ai pas encore
conscience.
Ta voix est douce comme une guimauve ; tu me racontes des histoires, le soir, avant de m’endormir.
Je ne sais pas encore bien lire.
Ta peau ridée, fripée, sent la violette. Ton cou est un refuge
à bisous.
Je t’aime…
Tu es ma gourmandise, ma mémé chérie.
Ton être tout entier chante bénédiction et patience…
Je vois dans les plis de ta peau, dans tes paupières fragiles,
et surtout dans ton sourire, que tu as vécu, bercé, protégé, aimé et souffert
aussi, mais ça c’est une autre histoire que je ne veux pas raconter. Elle
t’appartient.
Je contemple ton ventre dodu quand tu enlèves ta gaine avant d’enfiler
ta chemise de nuit délicatement fleurie.
Tes lèvres chuchotent et adorent.
Quelle grâce d’être venue de toi et de partager ta chambre
haute ; quand les disputes des autres membres de la famille cassent nos
tympans, toi, silencieuse, tu confies en pleurant.
Mémé chérie !
1976
Il y a une cloison désormais dans cette grande pièce qui fut
notre chambre.
D’un côté mes deux frères, de l’autre moi, dans un espace à la
tapisserie très vive, trop vive ; c’est mon logis, mon refuge d’adolescente.
Silence.
Secrets…
Toi tu es descendue au rez-de-chaussée, plus pratique d’accès pour
une mémé.
Ta chambre sent toujours la violette.
Je me sens seule à l’étage.
Je descends souvent te voir, te parler et rire, de tout, de
rien, de nous !
J’apprends par bribes à mieux connaître le siècle dernier.
Il me tente et m’effraie.
1986
J’ai quitté la maison depuis quelques années.
Quel plaisir de te retrouver pendant les vacances d’hiver
avant le drame printanier qui m’a fait saisir, dans un tumulte inouï, toutes
les souffrances que nous partageons désormais.
L’absence de l’être aimé irremplaçable est une chose de plus que
l’on a traversé toutes les deux.
Présence, absence, terreur, drame, lassitude.
Plomb.
Que sont tes rides devenues ?
Les miennes se cachent encore.
1996
Tu me manques.
Ta peau me manque.
Ton sourire me manque.
Ton doux parfum me manque.
Tes yeux rapetissés et désormais clos me manquent.
J’aurais tellement aimé que tu sois centenaire et que tu
connaisses tous mes enfants.
2006
Je me suis rendue au cimetière de notre petit village.
Je regrette qu’il n’y ait pas de croix sur ta tombe ; ce
n’est pas vraiment un regret ; c’est un triste constat qui dénote cet irrespect permanent
dans notre famille ; le Christ, Lui, nous comprend mémé, et c’est ça l’essentiel.
Je saisis l’irrévérence dont tu as été victime jusqu’à ton
dernier souffle et, paradoxalement, ça me donne envie d’organiser des choses
dans le futur.
Ta douleur, à jamais dans mon cœur…
2016
Tu m’avais dit un jour : « Le mariage c’est comme la
variole, on ne te vaccine qu’une fois. »
J’y repense souvent dans mes égarements.
La formule me faisait alors éclater de rire.
C’était le bon temps de quelques confidences osées !
2026
Je vais proposer des ateliers d’écriture sur le souvenir.
« C’est
avant tout à toi-même qu’il faut être fidèle, et il s’en suit que, comme la
nuit, le jour, tu ne pourras plus être faux envers personne. » William
Shakespeare
On a tant et tant de choses à dérouler pour atteindre la
liberté, n’est-ce pas ?
Annick SB
mai 2025
Consigne d'écriture animés par Laura Vazquez : Clic
Que d'émotion à lire tes mots Annick... l'amour pour cette mamy.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé ton billet rédigé tous les dix ans de 1966 à 2026 à venir.
Je ressens tellement cette affection entre vous.
merci pour ce partage émouvant.
Den