Mise en scène...

 


Van Gogh - La chambre - 


Chaque année, depuis six ans, je loue une chambre, une petite chambre rien que pour moi dans une auberge un peu retirée du monde.

Chaque année quand j'arrive la patronne me sourit en me serrant la main, m'aide à monter mes valises et me laisse tranquille pendant tout le séjour.

Elle ne m'adresse plus la parole.

C'est convenu.

J'ai fixé la durée des séjours à sept jours pendant sept ans.

Chaque année je décale l'arrivée d'un jour, pour connaître l'alternance, le changement dans une quête de perfection et de constance qui est la mienne.

J'appelle cette retraite mon caprice de vie et la tenancière joue le jeu.

Elle doit doit me trouver originale.

Elle n'en dit rien.

Je crois pourtant que je la touche et quelle respecte en silence mon séjour particulier comme si elle avait compris que je ne pouvais pas faire autrement.

Comme si elle avait saisi la force qui m'habite ...

En effet, rien n'est laissé au hasard.

Avant mon arrivée la chambre a été mise à mon goût.

Il est impératif que chaque année elle soit exactement la même que la précédente.

Je fais une expérience avec le temps.

Je le bloque.

Je l'occupe.

Je le détourne.

Je le détends.

Je lui fais un pied de nez.

Je m'amuse à l'immobiliser.

Je joue à le sentir passer.

Dans la chambre, le bois sent la cire d'abeille.

Les murs la fraîcheur d'un air qui est entré quelques heures durant par la fenêtre.

Les tissus sont propres, parfumés à la lavande bien entendu.

L'ordre règne.

Quand je m'allonge sur le lit, je me sens heureuse.

C'est très important de se sentir heureuse, en paix, tranquille.

Pendant ce temps, doux et plaisant que je m'accorde annuellement, je ne fais qu'une chose : rien.

Je retiens mon souffle, je m'endors, je me réveille et je mange. 

Je m'allonge sur le lit le plus d'heures possibles et j'essaie de faire entrer en moi tout ce qui peut être source d'inspiration et de détente.

Le craquement d'un plancher à l'étage.

Les talons de l'aubergiste qui m'amène le plateau et le pose sur le petit guéridon.

L'orage qui gronde.

La pluie qui tombe.

Le tissu qui se froisse lorsque je me retourne.

Tous ces sons s'enfouissent en cachette dans mon corps que je tiens nu par respect pour les draps.

...


Je suis allongée, ferme les yeux, respire, respire encore et mon corps monte et descend, comme une danse sous le lin.

Ce n'est pas de la méditation à proprement parlé, ni du yoga ; non rien de tout cela.

C'est une retraite simple, agréable, dans le sens de repos, de recherche, de calme, de paix.

Je ne rends hommage à rien ni à personne.

Je ne suis là que pour jouer un rituel, une mise en scène, un théâtre où je suis à la fois le metteur en scène et l'actrice.

Je me joue du temps qui passe, de la vie de l'autre, de l'absence d'agitation, du calme, du repos de l'ordre et du silence.

Je mets en scène l'inutilité, l'immobilité, l'inertie et le vide qui les accompagne.

Je cherche comment on peut, comme ça, tranquillement, oublier le monde, oublier le tourbillon de la vie, de l'effort, de la douleur harassante et des blessures stupides infligées par l'action, par la course, par la précipitation.

Je cherche dans cette chambre le respect du repos et du silence.

Sept jours durant, pendant sept ans, je crois que je mets en scène ma patience ..

 

Annick SB    décembre 2012

 

Texte écrit à partir d'une consigne en image du blog Mille et Une : Clic !


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