Je ne suis allée qu’une fois dans
ce que l’on nomme « Le 93 ».
Nombre fixé dans les mémoires du
présent, stigmatisé, médiatisé autour de nombreux déboires de quelques-uns.
J’avais quitté l’appartement de
la rue Lafayette, longé ladite rue jusqu’à la station de métro la plus proche
et environ une heure plus tard, après avoir plusieurs fois regardé ma montre
par peur d’être en retard, j’étais sortie dans une station dont j’ai oublié le
nom.
Elle m’attendait.
Nous avons fait quelques pas en
silence ; nous avons traversé des pelouses râpées, parsemées de grésil
tombé le matin même. Il n’était pas totalement fondu et le gel s’était même
transformé en stalactites sur quelques réverbères.
Nous avons croisé une patrouille
de police, quelques jeunes encapuchonnés et un vieil homme promenant son chien lequel tentait de creuser un trou en vain.
Il faisait très froid.
Une quinzaine de minutes plus
tard, nous sommes arrivés en bas de son immeuble, avons pris l’ascenseur
jusqu’au 6ème étage et sommes rentrés dans le minuscule deux pièces
où elle vivait avec son mari et son fils. Il y avait une agréable odeur de
cuisine ; un bon plat mijotait.
Je me souviens du calme qui
régnait et surtout du sourire joyeux de Carmen ; c’était le même sourire
que quand elle montait sur l’escabeau pour nettoyer avec attention les vitres
de l’immense appartement de logeurs qui m’hébergeaient. De toutes les tâches
qui lui incombaient, c’était sa préférée ! Elle disait en riant :
-
Es bueno
ver con claridad
Je ne me suis pas creusé les
méninges longtemps pour penser que oui vraiment, ce large sourire et cette
persévérance étaient un bel émissaire d’un bonheur à venir !
Si elle avait tant insisté pour
que je lui rende visite, c’est qu’il y avait une bonne raison que je n’allais
pas tarder à découvrir.
Pour tenter de mieux m’expliquer
ce bonheur qui l’habitait justement, sitôt arrivées chez elle, elle me fit
assoir sur une chaise et posa sur la table un album photos qu’elle m’invita à
parcourir d’un hochement de tête. C’était un vieil album que ses mains avaient
dû maintes fois feuilleter et je le touchais avec précaution pour ne pas
l’abimer.
Je pus voir ses parents à la
plage, des cousins autour de la grande table, son mari avec tout son outillage,
des pêcheurs au filet, des bambins dans les vagues, son fils dans une bouée, le
clocher d’une église, des bébés emmaillotés, le tout dans une ambiance très
colorée et ensoleillée.
Je tournais les pages délicatement, ne
comprenant pas trop les commentaires qu’elle lançait dans sa langue au fur et à
mesure des pages ; mais elle était aux anges, sourire dans les yeux et
j’admirai cela.
A un moment, elle prit l’album de
mes mains et me lança en levant un index en l’air :
-
Espere…
Puis elle tourna d’un coup la
dernière page de l’album ; une grande photo d’une maison de campagne couvrait
toute la page et elle dit :
-
Este es
mi palacio !
Carmen m’avait acheminé lentement
vers ce lieu d’espérance qui la faisait tenir bon ici dans la grisaille et le
labeur…
Annick
SB janvier 2021
Consigne d'écriture chez Treize à la douzaine : Clic !
Toute la philosophie d'une génération de migrants est sous-tendue dans ce billet. La volonté de s'élever et de gagner en qualité de vie par le travail, par exemple, dont rend compte la chute, autour du palacio...
RépondreSupprimerTu as une écriture très "visuelle", Annick, c'est un plaisir. Typiquement, le paragraphe de l'album photo est ainsi très "parlant", sans avoir recours au dialogue.
Merci pour le détour et cette pertinente mise en regard avec l'Agathange de mon feuilleton.
A très vite...
D.
Merci pour ce commentaire élogieux et bien sympa !
SupprimerTiniak SOS, je n'arrive plus à accéder à ton blog ! Aucun lien ne marche ???
Avoue que c'est rageant et frustrant de ne pouvoir suivre ton feuilleton ?
Què passa ? t'as une idée ?
gloup ? à suivre ....