Cocorico !

 


La marchande de volaille de Passerotti : Clic !


Grand-mère était une vieille dame parfaite, enfin presque ; elle n’avait qu’une addiction : le scrabble !

 

Elle s’était fait installer une connexion internet pour jouer sur « scrabble -pro », un forum dédié à ce jeu de société, car ses enfants et petits-enfants le jugeaient trop ancien et ne voulaient que rarement jouer avec elle.

Et oui, on pouvait effectivement penser qu’elle était devenue « pro » vu le nombre de parties qu’elle faisait chaque jour.

Jusque-là, rien d’original n’est-ce pas !

Des milliers de personnes jouent régulièrement au scrabble, en ligne ou en live comme on dit !

Dit-on d’eux qui sont accros ?

Non !

La particularité des parties de grand-mère, c’était l’écriture qu’elles engendraient ; à partir des mots posés sur le plateau, grand-mère inventait. Il fallait une rapidité déconcertante pour arriver à imaginer un récit au fur et à mesure que se déroulait le jeu. Parfois elle arrivait à placer tous les mots dans l’ordre ; d’autres fois la tâche était plus compliquée !

Elle commençait toujours par choisir la durée impartie entre deux pauses de lettres et ne jouait donc qu’avec des partenaires lents. Cela lui permettait, feuille à la main, de composer ses récits.

 

Un mercredi matin, la journaliste de France-Musique cita son compositeur préféré, Georg Friedrich Haendel pendant que la partie commençait ; elle rêvassait quand le partenaire, qui avait choisi Bipeur comme avatar, plaça un scrabble d’entrée de jeu.

 

 « ENGLUAS »

 

Bè dis donc, se dit Grand-mère, ça commence mal pour moi et pour la première fois de sa vie elle détesta l’adversaire, juste quelques instants, quelques secondes de trop qui la firent culpabiliser et se déconcentrer.

Quelle rouste, quelle bâtonnée je vais prendre aujourd’hui !

Heureusement la musique d’Haendel la calma…

Puis ça la fit rire bien sûr ! Ce n’était qu’un jeu et elle savait qu’on ne haït pas un adversaire ! Fallait pas exagérer !

 

Concentrons-nous se dit-elle en écoutant « Le Messie » et elle étaya une affirmation qui lui faisait du bien et qu’elle employait souvent :

 

« L’important c’est de participer ! » 

 

Grand-mère plaça le mot suivant :

 

« LE »

 

Il était tellement court, petit, minuscule, ridicule qu’elle fut prise d’un fou rire et quand elle riait, grand-mère savait que son rire faisait penser au chant du Coq.

 

Alors elle prit son stylo et commença l’histoire du jour :

 

« Il était une fois, une dame qui chaque jour, à heures fixes, se rendait dans son poulailler pour donner du grain de qualité à ses trois coqs et à la vingtaine de poules que comptait sa basse-cour. Il fallait vider la mangeoire des restes de la veille et faire le job avec rapidité car les coqs s’impatientaient les vilains et risquaient de faire tomber l’installation bancale de la grille bien calée par un vé contre le mur !

En principe, on ne doit avoir qu’un seul coq dans une basse-cour.

Mais elle, ne tenait pas compte des conseils règlementaires et en avait acheté trois au marché. Ils verront que tout est possible, pensait-elle, ces voisins qui se moquent de moi ! Un de ses versets préférés dans l'Evangile de Marc était :

 

« Tout est possible à celui qui croit. » 

 

Revenons aux coqs : Les plumes de l’un étaient rousses, celles de l’autre tiraient sur l’or et le troisième était albinos. Elle nommait le premier Prince Wu, le second Duc Wons et le troisième Mister Kan et elle était follement amusée par le son qui sortait de sa propre bouche lorsqu’elle criait Wu-Wons-Kan, Wu-Wons-Kan pour les voir arriver fiers lançant des Cocoricos stridents.

Elle avait pris soin de les séparer la nuit par un grillage et la basse-cour vivait dans une harmonie certaine ; les poules pondaient, les coqs chantaient, la vie n’était pas amère mais très très très belle …

C’est vrai que la vieille dame se sentait parfois un peu seule ; les enfants étaient loin, à la ville et son amie d’enfance était décédée…. Mais son fort caractère l’empêchait d’être triste et elle avait Le Scrabble, compagnie fidèle s’il en est !

 

Une de ses voisines lui demanda un matin ,au détour d’une conversation, en passant devant chez elle :

 

-        Vous adorez la volaille n’est-ce pas ?

-        Oui assurément, lui répondit-elle en souriant.

-        Est-ce que vous aimez également l’art, enfin je veux dire la peinture, la sculpture, la photographie ?

-        Euh, oui j’aime bien de temps à autre feuilleter un ouvrage sur des peintres mais je ne suis jamais allée dans un musée ni dans une galerie et je ne m’y connais pas trop à vrai dire …

-        Il y a en ce moment dans l’église du village voisin une exposition sur la basse-cour. J’ai donc pensé à vous. Un collectionneur, et non des moindres a prêté quelques œuvres de Passerotti et comme la salle communale est en travaux, le curé a accepté qu’on expose les toiles dans l’église, sans toucher aux piliers de la nef dont l’usure certaine fait haleter tout l’évêché. Les enfants du village ont participé aux création et le photographe a joué le jeu lui aussi.

 

-        Je ne sais pas si je vais pouvoir m’y rendre mais pourquoi me parlez-vous de cette exposition ?

 

-        Je peignais jadis moi aussi et j’écoulais mes toiles dans une galerie de Loué ; j’aimais les coqs, les poules, les poussins, alors comme je vous vois chaque matin vous affairer dans votre basse-cour, je me disais qu’on pourrait y aller ensemble et faire plus ample connaissance à cette occasion. Et puis, si vous le souhaitez, je pourrais peindre un jour ou l’autre votre volaille qui est si belle.

 

Et c’est ainsi que l’amitié de ces deux femmes commença, un jour de printemps, dans une basse-cour de province ; les trois coqs peuvent en témoigner et les autres cancaner, mais qu’ils le veuillent ou non, leur plumage sera tôt ou tard immortalisé !

 

Annick SB    mars 2021


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2 commentaires:

  1. Bonsoir Annick SB : Histoire joliment racontée. L'addiction de cette grand-mère finit heureusement en bonne compagnie. Merci de votre passage chez Canardjaune. Bonne semaine malgré un printemps qui ne semble pas au rendez-vous.

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  2. Quelle partie de Scrabble !!!!!!!! Grand mère y prends bien du plaisir !!
    J'aime aussi ce jeu mais je n'y joue pas souvent, je lui préfère le tarot ou la belote !
    Bises Annick

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