Légère ...



Carl Spitzweg : Clic !



Voilà, j’ai besoin de votre avis. Vraiment besoin que vous me le donniez sans aucune gêne ni hésitation.

Je vous ai parlé récemment de cette fameuse amie, madame Ravie aux cours littéraires passionnants. Vous vous souvenez ? Et bien, il est arrivé quelque chose à son mari et, elle souhaite des conseils. Alors moi-même j’ai besoin des vôtres parce que je me sens un peu perdue sur ce coup-là …Ne perdons pas de temps, je vous explique de quoi il en retourne et vous me direz ce que vous en pensez.

 

Il y a quelques temps, on a pu croire que Monsieur Ravie avait développé un complexe d’infériorité, et qu’il passait son temps, le nez dans les bouquins à rechercher des explications scientifiques, des connaissances pointues pour épater son entourage.

Il n’en était rien ; son entourage n’avait pas besoin d’être épaté puisqu’il était lui-même épatant.

Toutefois, certains comportements récents semblaient inquiéter les enfants de ce cher érudit et ce n’était pas simple, pour sa progéniture, de mener l’enquête et d’affronter le problème calmement.

Les hochements de tête rythmaient les repas du dimanche quand monsieur Ravie, d’une voix grave et profonde, lançait des citations sur la lecture, sur l’écriture, sur la vie, sur l’amour, sur l’éternité :

 

-        « La lecture apporte à l'homme plénitude, le discours assurance et l'écriture exactitude. » Francis Bacon

 

Dimanche dernier donc, Bacon était à l’honneur ; Monsieur Ravie répéta 3 fois crescendo la citation qu’il connaissait par cœur bien entendu, puis il poursuivit en hurlant :

 

-        Mais qu’est-ce que l’assurance ? Hein, je vous le demande, qu’est-ce que l’assurance ?

 

 Cela ne fit aucun effet, sauf peut-être celui de faire sortir le chat de son panier…

 

Il poursuivit avec une autre citation :

 

-        « La plume est l'interprète de l'âme : ce que l'une pense, l'autre l'exprime. » Miguel de Cervantès

L’une et l’autre ; je répète : l’une et l’autre vous comprenez ?

 

 Sitôt la question posée, voyant que personne ne s’intéressait à ses dires et n’allait lui répondre, il se leva, et sans plier sa serviette (signe d’une impatience folle), quitta la salle à manger et se dirigea vers la bibliothèque.

 

Chacun y alla de sa petite moue compatissante, étonnée, agacée, de son petit raclement de gorge, gêné, pendant que Madame Ravie, célèbre maîtresse de conférence à l’Université, leva les yeux au ciel, reprenant une part de tarte, en attendant que l’orage passe.

Cela faisait quelques semaines que son époux l’agaçait. Ils avaient préparé ensemble des années durant, des heures et des heures de cours et de colloques, mais depuis qu’il était à la retraite, Monsieur Ravie semblait distant et toujours en quête de quelque chose d’autre que l’entraide et la complicité intellectuelle. Il avait pris l’habitude de se vêtir à l’ancienne, portait pantacourt de velours, mocassins Richelieu et chemises à volants. Il poussait même le vice jusqu'à se chapeauter avec un feutre à plumes pour se rendre à la boulangerie… Certes, le ridicule n’a jamais tué personne, on le sait bien, mais madame Ravie en avait un peu marre de ces excentricités.

 

-        Il fait le vide, lui avait suggéré une amie psychiatre. Ça va lui passer.

 

C’était un peu comme si tout ce qu’il avait été, sérieux, à l’écoute, prudent semblait envolé, comme si tout ce qu’il avait lu s’était soudainement évaporé.

 

Parfois, m’a-t-elle confié,  le soir il a quelques symptômes de phobie : sueur, tremblements, bégaiement.

 

-        « Je ne la trouve plus, dit-il, je ne la trouve plus… » et mon amie ne peut que constater son désespoir.

 

Pourtant il en passe du temps dans la bibliothèque !  Mais pourquoi faire ? Que cherche-t-il dans ces fichues pages ? Là est le mystère…

 

Pendant le déjeuner de ce dimanche, dès que la tarte fut terminée, le café bu et les petits enfants partis à la sieste, Madame Ravie rejoignit son mari dans l’immense bibliothèque que le couple avait fait agencée il y a fort longtemps.

 

-        Chériiiii, quand comprendras-tu que les enfants sont las de tes sornettes ?

-        Sornettes ? C’est ainsi que tu traites les citations ?

-        Chériiii, j’aimerais le dimanche pouvoir mâchouiller autre chose que de la littérature !

-        Mâchouiller ? Est-ce ainsi que tu conçois la transmission des textes anciens ?

-        Chériiii, enfin, les petits enfants n’en n’ont rien à faire de Bacon, Montesquieu, Cervantès et Molière ! Tu les agaces à la longue !

-        Agacer, agacer, voilà le seul mot que tu as à la bouche ! Agacée par ci, agacée par ça et il faudrait que je me taise de surcroît ! Non ma chère, je ne me tairai jamais et je citerai « les Grands » chaque dimanche, car hommage et honneur doivent être rendus à celles et ceux qui, d’un trait de plume, nous ont tant fait rêver, ont façonné notre pensée, sublimé notre intelligence, offert notre liberté ….

 

Madame Ravie sortit de la bibliothèque, lasse des envolées lyriques et alla expliquer à ses enfants les constats amers qu’elle avait pu établir sur le comportement névrotique de leur père.

 

La famille entière décida de l’ignorer et d’attendre que cela passe. Perso, je me pose quelques questions...

 

Pendant ce temps, Monsieur Ravie était remonté sur la grande échelle et tirait un à un des ouvrages des rayons, les feuilletant à la hâte à la recherche de la belle et petite plume blanche qui avait disparu et les replaçant triste et désespéré de ne pas la trouver …

Car, ce qu’il n’avait pas dit à ses proches à ce moment-là et qu’il a fini par avouer, c’était qu’il est devenu collectionneur.

Un de plus, oui, dans ce monde névrotique, à s’accrocher à des rituels ou des objets !

La névrose de Monsieur Ravie n’est pas, comme on pourrait le penser, la maxime, la phrase, le verbe, la citation ! Non, non, rien de tout cela.

Rien ne peut laisser paraître son addiction qu’il qualifie lui-même de légère.

Monsieur Ravie est Ptérophile.


Alors mes amis, dites-moi, c’est grave ou pas ?

 

Annick SB    mars 2021


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4 commentaires:

  1. Ha ! ha ! ha ! Alors comme ça, on se fait ses propres infidélités ?
    Et sinon, concernant ce t... Atch'exte !! J'a voue que l'... At'chute !! m'a surpris. T'aurais pu prévenir. Je suis aaaatch'allergique aux plumes !! XD

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    1. Mdr ! L'allergie est aux écrivains ce que l'allégorie est au poètes !

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  2. Réponses
    1. Je suppose que c'est FS qui est passé par là ce matin ! Je t'invite à poursuivre les lectures de ce blog cher frérot, mais de style je n'ai point véritablement ... juste un peu plus de temps qu'avant et qqs zestes d'imagination ! bizzzz

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